I Prucessiunarii/ Les processionnaires
Années 1970 : La Corse souhaite se réapproprier son identité culturelle à travers différents courants politiques et artistiques. Ce riacquistu (réappropriation) apporte la renaissance des confréries. Sur le littoral et dans les terres, portant la croix et le chant dans les pas des ancêtres, elles recréent des liens entre les villages les plus isolés.
Ma série I Prucessiunarii s’inscrit dans une forme de riacquistu : la réappropriation par le féminin de ces rites archaïques où la place des femmes a été mise au secret avant de renaître, recouvrant ses origines et retissant un lien entre traditions et modernité.
Traditionnellement rattachée au vendredi Saint, la procession menée le huit septembre à la Santa du Niolu et dédiée à la Vierge, révèle ses racines féminines. Marche spirale, la « granitula », tient son nom d’un coquillage à volutes que l’on trouve sur les bords de mer. Suivant un rituel protohistorique, de l’ordre du cosmos au chaos de la mort puis au rétablissement de l’ordre par la renaissance, les hommes obéissent aux cycles de la nature. Le symbole spiriforme, selon Mircea Eliade aurait pour fonction de provoquer chez les participants une sorte de fusion avec le cosmos qui favoriserait le retour périodique à la vie à travers la réintégrations du sein maternel. (Silvia Mancini).
Mes Processionnaires empruntent la spirale de la granitula, emboitant l’histoire des femmes marquées par les violences du patriarcat. Par son travail, l’artiste s’interroge : serions-nous aujourd’hui au centre du vortex avec ses convulsions, dont nous finirons par émerger pour une renaissance des rapports entre le féminin et le masculin ?
Lacérations, scarifications, collages et coutures des matières, j’explore avec désinvolture le métissage des techniques et des éléments, des images et des mots. Par ce langage énigmatique et divinatoire je tente de capter les symboles, les récits, émotions et les questions, à l’intérieur de mes attrape-rêves.
Combien sont les hirondelles
Portées par le printemps
Qui tissent autour des morsures, des pansements ?
« Je dis
Voile ou traine
De la mariée
Contracté mariage
Contraction
Radicaux traîne
Et train
La partie aqueuse
Du sang lave et
Entraîne le dépôt
De sang veineux dans la veine »
Françoise Rafalli, par Paul Alerini dans Le délire de guérir
Guitare
Viole d'amour signe chat
agrafe ou articulation dans
la décomposition
arcade de fallope
Ligament de Bertin dans
la décomposition
signe agrafe et décomposition
du muscle couturier
où les articulations sont
vissées dévissées radical vis
Françoise Rafalli, délire cité dans "Le délire de guérir" de Paul Alerini
.
Ceux que personne ne compte
Ceux qui n’ont pas de nom
Famille anonyme
Poissons volants
Poisons violents
J’entends des voix dedans
Voci rivolta
Un chant grêle et inconsolable
Je porte un voile noir
Je suis morte
Je m’avorte
- Regardez : -
Regardez : ils sont là, les humains,
debout comme des torches,
les mains qui tremblent du cœur qui tremble d’attendre
sans savoir quoi,
sans savoir à quel verbe se vouer pour en sortir,
du maudire
et ses hordes de mots tus,
nuée ardente, la terreur blanche…
"Et la vie elle-même m’a dit ce secret : « Vois, dit-elle, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même ».
Friedrich Nietzsche
Ça reste entre nous
Ça, entre nous
Ça, nous
Ça
Omettre
Omerta
« Libera me, Domine, de morte aeterna,
in die illa tremenda :
quando caeli movendi sunt et terra :
dum veneris iudicare saeculum per ignem.
Libérez-moi, Seigneur, de la mort éternelle, en ce jour redoutable :
quand les cieux seront ébranlés, et la terre :
lorsque vous viendrez juger le monde par le feu. »
Ils sont là, les yeux grands comme la soif,
muets comme des pierres en ce puits de la nuit
où fermente en secret le secret des secrets
qui les tient aux entrailles.
Les yeux comme la soif, le secret aux entrailles,
Ils tiennent sans savoir de tonnerres lointains la haute destinée qui les dresse aujourd’hui au bûcher de paroles, en ce lieu où le temps cesse de respirer :
de l’inconnu qui vient, l’imminence absolue.
Savoir : au cœur de verbe épris d’effroi il est un envers qui s’éploie, visage sans rivage une joie sans pourquoi : du secret le secret, que seul l’oiseau sait dire…
Mineure des fonds
Ouvrière des matières primaires
Je creuse
« Ta vie est comme un pont jeté entre deux vides :
Tu n’as pas de limite, au milieu tu n’es rien »
Omar Khayyâm
"Je m’éveillai, c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague,
L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers"
Yves Bonnefoy